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Société

Massacres du 17 octobre 1961 : « Les politiques savaient ce qui était en train de se passer »

Rédigé par La Rédaction | Mardi 17 Octobre 2006 à 17:08

           

Historien, auteur entre autres de l’ouvrage « Coloniser, exterminer », Olivier Le Cour Grandmaison est également le président de l’association « 17 octobre 1961-17 octobre 2001 contre l’oubli ». Il revient pour nous sur les circonstances tragiques qui ont présidé les massacres du 17 octobre 1961 dans les rues parisiennes.



Massacres du 17 octobre 1961 : « Les politiques savaient ce qui était en train de se passer »

Saphirnews : Que s’est-il passé le soir du 17 octobre 1961 ?

Olivier Le Cour Grandmaison : Ces soirs là, puisque les massacres perpétrés par les force de l’ordre, agissant sous l’autorité du Préfet de police de l’époque, qui n’est autre que Maurice Papon, se sont déroulés à la fois le 17 octobre, c'est-à-dire le soir de la manifestation pacifique organisé par le FLN et les jours qui ont suivis, dans un certain nombre de lieux et notamment le Palais des sports où plusieurs milliers de manifestants qui ont été raflés, ont continué à être soumis à ce que l’on peut appeler aujourd’hui des traitements inhumains et dégradants, alors même que les autorités policières et politiques savaient pertinemment ce qui était en train de se passer.

Il faut également rappeler, et c’est décisif, qu’il s’agit d’une manifestation pacifique appelée par le FLN contre un couvre-feu raciste et discriminatoire puisque ce couvre-feu ne portait en effet que sur ceux qu’on appelait les français musulmans d’Algérie et qu’il ne concernait pas les autres français de la métropole.

Il s’agit donc à mes yeux et aux yeux de beaucoup d’autres historiens, d’un couvre-feu raciste applicable à une catégorie de la population à part, et pour laquelle on pouvait mobiliser des dispositifs juridiques d’exception et par ailleurs utiliser des méthodes de violences extrêmes qui vont déboucher sur des massacres.

Connaît-on aujourd’hui le nombre de victimes ?

Olivier Le Cour Grandmaison : Il faut distinguer les chiffres relatifs aux rafles et ceux des victimes. Dans tous les cas, il est assez difficile d’avoir des chiffres exacts sur les morts et les disparus parce que des historiens ont montré que dans un certain nombre de cas des corps avaient été rejetés à la Seine. Cela est avéré entre autre par Jean-Luc Einaudi à partir de l’actualité médico-légale de Paris.

Par ailleurs, il y a eu des exécutions sommaires dans les alentours de Paris. Jusqu’à aujourd’hui, il y a encore des personnes qui sont portées disparues. C’est la raison pour laquelle il est difficile de donner des chiffres exacts.

Néanmoins, les recherches effectués par Einaudi tendent à montrer que le nombre des victimes avant mais aussi après le 17 et le 18 octobre et dans les jours qui ont suivis s’élève à environ 300 morts. Vraisemblablement, il sera à jamais impossible de dire exactement combien de manifestants ont été tués ce jour là.

Au delà de la querelle des chiffres, il s’agit aux yeux de beaucoup d’historiens d’un crime d’état. Un crime perpétré par des autorités policières agissant sous la responsabilité politique et administrative d’un préfet, lequel agissait lui-même sous l’autorité du ministre de l’intérieur.

Je considère également que c’est un crime contre l’humanité dans la mesure où ceux qui ont été martyrisés, torturés et exécutés sommairement l’ont été pour deux raisons. Des raisons politiques, car ils étaient considérés comme les suppôts d’une organisation terroriste, le FLN et pour des raisons raciales car ils étaient considérés, comme on disait à l’époque, comme des « bougnoles et des ratons », des arabes, c'est-à-dire comme des hommes inférieurs et dangereux qu’on pouvait soumettre à des traitements d’une violence extrême.

Sous la direction de Papon, les forces de police ont massacré des milliers de manifestants algériens
Sous la direction de Papon, les forces de police ont massacré des milliers de manifestants algériens

On a évoqué la participation de service comme la RATP dans le transport des victimes. Qu’en est-il ?

Olivier Le Cour Grandmaison : Les agents de la RATP et leurs bus ont été réquisitionnés par les forces de l’ordre, sur ordre des policiers. Ils n’ont pas participé aux massacres au sens où ils n’ont pas contribué à l’exécution des manifestants.

Par contre, il est clair que dans le cadre de cette réquisition, les agents de la RATP, avec leurs véhicules, ont participé effectivement, et la chose est établie juridiquement, il y a même des photos très claires sur la mobilisation de la RATP, pour arrêter, puis transporter les manifestants sur des lieux de détention comme Vincennes ou le Palais des sports. La RATP a joué un rôle qu’on peut qualifier d’auxiliaire dans la répression des manifestants d’octobre 1961.

Les médias de l’époque ont-ils occulté l’évènement ?

Olivier Le Cour Grandmaison : Le mécanisme d’occultation va venir, à mes yeux, plus tard avec la répression de la manifestation de Charonne où, à l’occasion de l’enterrement de militants communistes tués par les forces policières, suivra une des manifestations les plus importantes de l’après seconde guerre mondiale, puisqu’il y aura environ un million de personnes à Paris, pour enterrer ces victimes, communistes pour l’essentiel. Cette manifestation va, par la suite, tendre à occulter complètement les évènements du 17 et 18 octobre 1961, qui sont d’une ampleur incomparable et, à ce titre, relève non pas d’une sanglante répression mais d’un crime d’état.

Des poursuites judiciaires ont-elles été engagées contre les auteurs de ces massacres ?

Olivier Le Cour Grandmaison : Des poursuites ont été engagées par des victimes ou des descendants de victimes, en particulier par une avocate persévérante et très courageuse qui s’appelle Nicole Dreyfus. A chaque fois, devant les juridictions françaises, ces actions engagées n’ont pu aboutir en raison des lois d’amnisties votées à la fin du conflit algérien et qui concerne également les massacres du 17 et 18 octobre 1961.

Néanmoins, concernant ces massacres, et au regard de la notion de crime contre l’humanité, ils ne peuvent pas être prescrits. Des actions en justice devraient donc pouvoir être menées en dépit du temps écoulé entre le moment des faits et celui de la plainte, et indépendamment de leur amnistie. Malheureusement, aucune des plaintes à ce jour n’a abouti.





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