Dans l'enfer des mariages forcés avec la photographe Stephanie Sinclair

Depuis quinze ans, l'Américaine réalise des reportages sur ces jeunes filles dont la vie bascule en une “cérémonie”. Une exposition en forme d'engagement qui met en lumière ces destins brisés, à voir sur le toit de l'Arche de la Défense.

Par Frédérique Chapuis

Publié le 20 juillet 2017 à 14h30

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 01h44

On ne redescend pas indemne du toit de l'Arche de la Défense après avoir vu l'exposition « Too Young to Wed » (« Mariées trop jeunes »), de l'Américaine Stephanie Sinclair. Apparaissent, sur de grands tirages aux couleurs radieuses, des gamines portant des enfants malingres, des corps mutilés par de l'acide ou encore un visage au nez et aux oreilles coupés, punition pour avoir voulu fuir un mari taliban...

 

Guatemala. Aracely (15 ans) et son fils. « J’espère aller de l’avant et que mon fils réussisse. Il m’aidera, mais quand il sera grand et qu’il quittera la maison, ce sera difficile pour moi. » Aracely fait partie des 500 000 jeunes filles guatémaltèques mariées et mères avant même d’être adultes.

Guatemala. Aracely (15 ans) et son fils. « J’espère aller de l’avant et que mon fils réussisse. Il m’aidera, mais quand il sera grand et qu’il quittera la maison, ce sera difficile pour moi. » Aracely fait partie des 500 000 jeunes filles guatémaltèques mariées et mères avant même d’être adultes. © Stephanie Sinclair / Too Young to Wed

 

Plus loin, sur les murs en béton brut de ce nouvel espace consacré au photojournalisme, une série de clichés montre des petits visages en larmes d'adolescentes indonésiennes ayant subi des mutilations sexuelles. Sur une autre photo, dans un intérieur chichement décoré, Faiz, 40 ans, barbe grisonnante, vêtements souillés, regarde la photographe droit dans les yeux. Mais à côté de lui, Ghulam, 11 ans, une petite beauté au teint clair, observe, inquiète, une scène qui se déroule hors champ : leur mariage va être célébré ! Sa vie de môme va basculer. Comme celle des quelque cent quarante millions de petites filles, qui seront mariées contre leur gré dans le monde, lors des dix prochaines années. « J'ai commencé ce travail lors d'un reportage en Afghanistan, après avoir rencontré des adolescentes de 9-11 ans, qui avaient tenté de s'immoler par désespoir, raconte Stephanie Sinclair. J'ai voulu en savoir plus. »

 

Inde du Nord. Maya (8 ans) et Kishore (11 ans) posent pour leur photo de mariage dans leur nouvelle maison.

Inde du Nord. Maya (8 ans) et Kishore (11 ans) posent pour leur photo de mariage dans leur nouvelle maison. © Stephanie Sinclair / Too Young to Wed

 

“Le mariage forcé n'est pas tabou dans ces communautés”

Voici donc quinze ans que, grâce à des commandes de presse, elle réalise des reportages sur le phénomène et ses conséquences. Elle entre en contact avec ses sujets grâce à des ONG et se fait accompagner par des locaux, expliquant toujours l'objet de son reportage. « Le mariage forcé n'est pas tabou dans ces communautés. Lorsqu'on ne peut pas financièrement élever ses enfants, il est plus simple d'en confier la responsabilité à une autre famille, rappelle Stephanie Sinclair. Mais la situation dramatique de ces jeunes filles, déscolarisées, victimes d'abus sexuels, de traumatismes physiques et psychologiques, ne fait qu'aggraver leur pauvreté. »

La plus horrible des situations pour la photographe, reste celle rencontrée au Nigeria, avec les rapts de Boko Haram. Ici, l'union forcée n'est qu'un alibi pour des actes de barbarie : des parents brûlés vifs devant leurs filles, des prisonnières qui ont tenté de fuir, tuées devant leurs camarades. Réduites à l'état de bêtes sauvages, enfermées nues dans des cages, elles sont à la merci des désirs sexuels des combattants. Comme en ont témoigné Yagana, Yakaka, Fatimata, trois sœurs qui ont réussi à s'évader.

 

Yagana, Yakaka et Fatimata, trois soeurs étudiantes enlevées au Nigeria par Boko Haram et depuis échappées de l'enfer.

Yagana, Yakaka et Fatimata, trois soeurs étudiantes enlevées au Nigeria par Boko Haram et depuis échappées de l'enfer. © Stephanie Sinclair / Too Young to Wed

 

Aujourd'hui, elles vivent dans un centre d'accueil, car, dans beaucoup de familles, on les rejette, craignant qu'elles ne soient devenues terroristes et donc de potentielles bombes humaines. L'imposante image les réunissant est sobre, harmonieuse, baignée dans une lumière douce... au point qu'on ne peut deviner le cauchemar de ces jeunes filles, que Stephanie Sinclair (qui a créé l'association Too Young to Wed pour les aider à se reconstruire) appelle des héroïnes.

 

 

Bio express
1973 Naissance à Miami, Floride.
2003 Premier reportage sur les jeunes filles immolées en Afghanistan.
2004 Premier de ses trois prix World Press Photo.
2012 Création de l'association Too Young to Wed.
2017 Inaugure avec son exposition l'Arche du photojournalisme, à la Défense.

Too Young to Wed, de Stephanie Sinclair, est aussi un livre (CDP éditions), 25€. Tous les bénéfices seront reversés à l'association.

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