La démocratie à l’épreuve des consignes de vote en Afrique

Tribune internationale du Dr YATABARY Aïcha
Médecin, écrivain, santé publique
Affaires humanitaires et coopération internationale

Dr Aïcha Yatabary

La démocratie est définie dans le Larousse, comme tel : « système politique, forme de gouvernement dans lequel la souveraineté émane du peuple. Système de rapports établis à l’intérieur d’une institution, d’un groupe, etc., où il est tenu compte, aux divers niveaux hiérarchiques, des avis de ceux qui ont à exécuter les tâches commandées ».

Il ne viendrait à l’idée de personne, d’aucun acteur politique dans une démocratie, d’imposer un candidat à une entité politique. Toutefois, le premier responsable d’un parti politique peut donner des consignes de vote en faveur de tel ou tel candidat d’un autre parti politique avec lequel il a conclu une alliance, à l’issue d’une élection dont il sort perdant au premier tour, ou même avant ; en effet, on peut observer des ralliements de partis à l’approche des différents scrutins électoraux. Ainsi, on a vu François Bayrou, premier responsable du MODEM, soutenir l’actuel Président français à l’occasion de la dernière élection présidentielle dans ce pays.

Afin de choisir un candidat au sein d’un parti politique, les démocraties ont recours à des primaires. Ces dernières sont apparues face au rejet du système de congrès pour la sélection des candidats.

Même si nous ne souhaitons pas calquer les modèles démocratiques de nos pays sur ceux des Occidentaux, nous pouvons toutefois adopter certaines pratiques qui garantissent la bonne santé de la démocratie sous nos cieux, comme l’organisation de primaires au sein des partis politiques à l’approche des élections, surtout présidentielles.

LES PRIMAIRES QU’EST-CE QUE C’EST ?

De plus en plus, les électeurs africains s’intéressent au potentiel transformateur pour leur quotidien des candidats et à leur programme. Face à cette volonté de changement devant le choix électoral, le système des primaires se présente comme une dynamique qui pourrait être une bonne alternative.

Il existe deux types de primaires : les primaires fermées (désignation interne ouverte aux seuls adhérents du parti concerné), et les primaires ouvertes à l’ensemble des électeurs. Les primaires ouvertes comportent certains dangers, comme le fait que les militants d’un camp adverse votent délibérément et massivement pour le pire candidat d’un parti politique, en vue de l’emporter face à celui-ci. Dans le cas des primaires ouvertes, chaque votant, quel que soit son bord politique, doit signer une charte d’adhésion aux valeurs du parti (et verser une somme symbolique, qui sert à financer en partie le scrutin), pour lequel il décide de participer à la primaire, ceci constituant l’un des avantages de ce système.

L’idée de l’organisation de primaires a germé en France, en premier, dans l’esprit de Charles Pasqua (homme politique de la droite française), en 1990, pour départager Jacques Chirac et Valérie Giscard d’Estain afin de désigner le candidat de la droite et du centre droit en 1995. Les premières primaires ouvertes ont été organisées par le parti socialiste (PS) en 2011 (source Wikipédia). Aux Etats-Unis, les premières primaires ont quant à elles été organisées par la Floride, en 1901.

Quel est le mode de fonctionnement de ce système ? Tout d’abord, une personne qui souhaite être le candidat de son parti à une fonction élective en particulier doit soumettre une demande. La loi prévoit aux Etats-Unis par exemple, que celle-ci soit signée par un certain nombre d’électeurs du district, afin d’éviter les choix arbitraires des candidats. Dans la même veine, il serait aussi intéressant de penser à organiser ce type d’élection dans un schéma à deux tours en Afrique, dans un souci de légitimité du candidat élu. Puis, des élections sont organisées au sein du parti afin de désigner celui qui le représentera aux élections législatives, présidentielles, etc.

LES PRIMAIRES, POURQUOI ?

Bien souvent en Afrique, comme nous l’avons relevé dans nos réflexions sur ce sujet crucial, on élit un candidat parce qu’il est de la même ethnie, de la même région, de la même religion ou de la même famille que nous. On élit un candidat parce que ce sont les consignes du chef de village ou du guide religieux. Par ailleurs, une certaine oligarchie s’accroche aux rênes des partis politiques, empêchant toute autre candidature que la sienne. Elle peut aussi choisir un élu et l’imposer aux autres composantes de la formation…

Toutes ces réalités entraînent de nombreuses tensions au sujet de la représentativité des candidats choisis par les partis.

Face à ces difficultés, l’organisation de primaires nous paraît être le système le plus équitable pour garantir la possibilité à tous les candidats potentiels d’un parti de faire entendre leur voix, leur programme, de les faire connaître aux militants de ce parti et de permettre à ces derniers de faire un choix correspondant à leurs attentes. Ce système permet de choisir, pour un parti, le candidat le plus représentatif …puisqu’il permet aux électeurs d’avoir plus d’influence sur le choix des candidats. Cela entraine comme conséquence première, une plus grande légitimité du candidat désigné à l’issue de ce vote. Ce système peut donner aussi une indication réelle sur la popularité et l’image des futurs candidats à la magistrature suprême.

Il permet, en outre, de susciter des débats passionnés qui ne manqueront pas de mobiliser les militants et de créer une formidable énergie saine en faveur du candidat qui aura émergé au moment crucial du vote, nous voulons parler ici de l’échéance finale qu’est l’élection présidentielle.

QUELLES BALISES POUR DES PRIMAIRES REUSSIES EN AFRIQUE ?

Force est de constater que dans notre mode de fonctionnement, en Afrique (comme partout ailleurs pourrait-on ajouter), les élections font souvent l’objet de nombreuses fraudes. Ainsi, pourrait-on craindre un trucage des primaires au sein des partis…d’autant plus que les primaires se jouent à quelques milliers ou centaines de voix près.

Face à cette problématique, nous pouvons proposer certaines solutions :

  • Choix scrupuleux du comité d’organisation ;
  • Excellente représentativité des différents adversaires dans les bureaux de vote (trois ou quatre personnes au minimum par bureau de vote) ;
  • Création d’une haute autorité de la primaire, composée de membres dont la probité et l’impartialité ne souffre d’aucun doute.

L’organisation de primaires est l’une des solutions aux interminables crises politiques africaines au sein des partis politiques.

Il ressort de nombreuses analyses sur la question, qu’en cas de primaires fermées, les électeurs auraient tendance à s’identifier surtout au parti, quand ils le feraient plutôt pour le candidat en cas de primaires ouvertes.

Alors, la question serait de savoir, à qui profiteraient des primaires au sein des forces politiques présentes en Côte d’Ivoire ? Aux personnalités politiques les plus populaires ou aux partis politiques les mieux organisés ? L’expérience est tentante à souhait. Nous le savons, de récents sondages menés en Côte d’Ivoire placent le PAN Guillaume Kigbafori Soro en tête de liste face à certains challengers… De plus, les primaires, qu’elles soient fermées ou ouvertes, obligent les candidats à (re)nouer rapidement des liens avec les responsables de leur parti pour obtenir un appui. Ainsi donc, elles représentent un bel exemple de démocratie et de cohésion au sein des partis politiques. C’est un exercice politique que l’Afrique gagnerait à intégrer dans son modèle de choix électoral.

Source : guillaumesoro.ci

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