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Pourquoi le Burkina Faso n’est plus en sécurité

Hier préservé du terrorisme sous Blaise Compaoré, le pays est aujourd’hui confronté aux djihadistes de la sous-région mais aussi à une insurrection islamiste locale.

Par  et  (contributrice Le Monde Afrique, Ouagadougou)

Publié le 15 août 2017 à 06h38, modifié le 15 août 2017 à 17h37

Temps de Lecture 5 min.

A Ouagadougou (Burkina Faso), le 14 août 2017, au lendemain de l’attentat meurtrier contre le café-restaurant Aziz Istanbul.

Comment empêcher un commando de quelques hommes armés, prêts à mourir pour leur cause, de commettre un carnage parmi des civils délibérément visés ? La question taraude tous les services sécuritaires des pays affectés par le djihadisme, et le Burkina Faso n’échappe plus à cette règle. Dimanche 13 août au soir, un nouvel attentat dans le centre-ville de Ouagadougou, la capitale, qui a fait 18 morts et 22 blessés selon un dernier bilan officiel, est venu rappeler la vulnérabilité du « pays des hommes intègres ».

« Est-ce que l’on peut être prêt face à ce type d’attaque ? Les menaces ont évolué. Aujourd’hui, comme en France ou aux Etats-Unis, n’importe qui peut se mêler à la foule et mitrailler tout le monde », plaide le capitaine Guy-Hervé Yé, porte-parole de la gendarmerie, fier de ses unités spéciales « qui ont réagi dès qu’elles ont été alertées » et ont su « neutraliser les deux terroristes qui s’étaient cachés dans l’immeuble du café Aziz Istanbul », où a été perpétré l’attentat. « Cette fois, les unités étaient plus aguerries et la coordination meilleure », poursuit l’officier.

Mi-janvier 2016, lors de la première attaque terroriste à Ouagadougou, quand trois jeunes hommes envoyés par Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) avaient lancé un assaut contre le café Capuccino puis l’hôtel Splendid, tuant 30 personnes, les forces de l’ordre burkinabées avaient montré d’immenses failles. Venues appuyer les soldats locaux, des forces spéciales françaises, qui disposent d’un détachement sur place, avaient notamment essuyé des tirs amis. « L’intervention a été extraordinairement cafouilleuse », maugréait quelques heures plus tard un responsable sécuritaire français.

Cancer malien et métastases

Cette fois, même si le périmètre de sécurité autour de l’avenue Kwame-Nkrumah, où s’est produit l’attentat, n’était pas bouclé – chacun pouvait en sortir ou y entrer plus de deux heures après que les premiers tirs ont été entendus –, les forces antiterroristes ont su contenir les assaillants et en venir à bout.

La France et les Etats-Unis ont proposé un appui, mais, selon une source proche du président Roch Marc Christian Kaboré, l’offre a été déclinée car, dit-elle, « nos hommes tenaient la situation malgré la modicité de leurs moyens ». Alors que des formations antiterroristes ont été dispensées par le Groupe d’intervention de la gendarmerie nationale (GIGN), « l’expertise est là, même s’il faut avouer que nous n’avons pas le même matériel ni la même technologie qu’en Europe et aux Etats-Unis », avance encore notre source.

Si aujourd’hui le Burkina Faso est le théâtre d’une insécurité grandissante, il le doit tout d’abord au contexte régional et en premier lieu à son voisin septentrional, le Mali. Le cancer de ce dernier, toujours loin d’être soigné, a produit des métastases de l’autre côté de ses frontières. Outre AQMI, qui a mené des assauts sanglants et des enlèvements de ressortissants occidentaux au Burkina Faso (un minier roumain et un chirurgien australien sont toujours retenus en otages), le pays a aussi dû subir les attaques du groupe d’Adnane Al-Sahraoui, un ancien d’Al-Mourabitoune qui a prêté allégeance à l’Etat islamique en septembre 2016 et a revendiqué aux moins deux opérations meurtrières sur son sol.

Devenu la cible des djihadistes de la région qui lui reprochent de fournir des casques bleus à la mission des Nations unies au Mali, d’offrir l’hospitalité aux forces spéciales françaises ou encore d’être engagé dans le G5 Sahel, le Burkina Faso fait également face à une insurrection islamiste locale. Depuis décembre 2016, Ansarul Islam, un mouvement fondé par Ibrahim Malam Dicko, un imam peul, mène des raids meurtriers contre l’armée – douze soldats tués le 16 décembre à Nasssoumbou – ou la police, sème la terreur parmi les élites de l’extrême nord du pays et n’hésite pas à abattre ceux qui, dans cette région frontalière du Mali, seraient tentés d’envoyer leurs enfants suivre une scolarité normale.

Apparente tranquillité

Pour les Burkinabés, cette insécurité est une nouveauté. Durant les années de règne de Blaise Compaoré (1987-2014), le pays vivait dans une apparente tranquillité, habitué à jouer les médiateurs – pas toujours neutres – dans les conflits internes de ses voisins.

Dans tout le Sahel, le Mauritanien Moustapha Ould Limam Chafi, un conseiller du président renversé par une révolte populaire, ou le général Gilbert Diendéré son chef d’état-major particulier, avaient noué des contacts avec certaines figures djihadistes qui permirent notamment la libération d’otages occidentaux.

Après l’attaque de janvier 2016, la première d’envergure, certains dignitaires actuels, comme le président de l’Assemblée, Salif Diallo, avaient voulu voir la main déstabilisatrice de l’ancien régime derrière l’attentat. « Les gens de Blaise [Compaoré] disent qu’ils avaient des réseaux, mais moi je parlerais plutôt de deals entre eux », persifle une personnalité proche de l’actuel chef de l’Etat.

« Sous Blaise, les trafiquants et contrebandiers avaient leur corridor au Burkina, un libre accès au Nord pour remonter au Sahel, explique une source sécuritaire sur place. S’ils étaient chassés chez nos voisins malien et nigérien, ils savaient qu’ils pouvaient revenir tranquille au Burkina. Maintenant ce n’est plus le cas. Ça diminue leurs activités. Ils ont donc tout intérêt à déstabiliser la zone pour pouvoir circuler plus librement. C’est une bataille menée par un réseau qui veut récupérer son corridor, tout simplement. »

« Nous avons mené un travail de fourmi »

« Toutes ces accusations d’accords avec les djihadistes sont là pour masquer des échecs, réfute un homme de l’ombre sous la présidence Blaise Compaoré. Nous avons mené un travail de fourmi pour obtenir du renseignement humain. Quand nous nous sommes rendu compte que l’on ne pouvait pas compter sur les Maliens pour protéger notre frontière, nous avons identifié les points de passage entre les deux pays et recruté des informateurs au Mali. Nous leur donnions des téléphones, de l’argent. C’est notamment grâce à l’un d’eux que nous avons retrouvé les premiers le site où s’était crashé l’avion d’Air Algérie [en juillet 2014]. Nos services de renseignement nous ont aussi permis de déjouer un attentat d’envergure en Côte d’Ivoire et l’enlèvement d’un Israélien à Bamako. »

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Puis de conclure, amer : « Aujourd’hui, notre capacité de défense est nulle. L’armée, quand elle est en mission, refuse de dormir en brousse. Et dans la lutte antiterroriste, nos dirigeants ne comptent que sur la France et l’étranger. »

Un gendarme se montre tout aussi critique envers les autorités du moment : « Nous n’avons pas du tout tiré les leçons de l’attaque du 15 janvier 2016. Il y a eu des menaces avant l’attaque. On était sur le qui-vive. Ces derniers mois, la fréquence des attaques dans le Nord avait augmenté. Des attaques ciblées. Mais personne n’a pris ses responsabilités. Personne ne s’est posé la question de savoir pourquoi ces attaques avaient lieu. L’Etat n’a pas de stratégie antiterroriste. Les autorités ne font que boucher les trous. »

Selon notre décompte, ces trois derniers mois, le Burkina a subi 20 attaques ayant tué près de 50 personnes.

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