En Grèce, le bitcoin successeur de l’euro ?

En Grèce, le bitcoin successeur de l’euro ?

Incertains quant à leur avenir dans la zone euro, les Grecs sont de plus en plus nombreux à placer leur argent dans le bitcoin, cette monnaie alternative qui ne dépend d’aucun Etat.

Par Daphnee Breytenbach
· Publié le · Mis à jour le
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(D’Athènes) Costas a entendu parler des bitcoins il y a deux ans et demi. Suspicieux au début, cet informaticien de 36 ans a fini par céder à ce système de finance en ligne, totalement décentralisé.

La crise que traverse la Grèce ne lui a pas laissé le choix :

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« Nos économies sont soumises à des décisions prises à 3 000 kilomètres d’ici, à Bruxelles. Si les créanciers du pays décident d’une sortie de l’euro, on perd tout. Autant voir venir et préserver le peu qu’il nous reste. »

Face au flou politique, Costas a opté pour la dématérialisation. Le bitcoin ne dépend en effet ni d’un Etat ni d’une banque centrale. Finies donc les angoisses sur les vicissitudes de l’euro ou les caisses vides de l’Etat : pour le jeune homme, ses bitcoins sont plus en sécurité dans l’immensité virtuelle d’Internet, que ses billets à la banque au coin de sa rue.

Costas a d’ores et déjà converti la moitié de son compte d’épargne, 5 000 euros, en bitcoins, 23 précisément. Et il ne compte pas s’arrêter là.

« En Grèce, on entend quotidiennement des rumeurs sur un futur contrôle des capitaux, une saisie de l’épargne... Moi je gère mon argent depuis mon ordinateur, sans passer par les banques. Je suis mon propre banquier ! »

A l’image de Costas, les jeunes Grecs s’intéressent de près à cette monnaie, perçue comme un refuge face à un euro chancelant.

Le taux du bitcoin dopé par la Grèce

Depuis un mois, les échanges de bitcoins en Grèce ont augmenté de 300% et les gens investissent de plus grosses sommes : ceux qui achetaient 300 euros sont maintenant prêts à mettre 2 000 ou 3 000 euros.

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Ce qui permet à la devise d’enregistrer de belles performances. 250 euros le bitcoin mardi 16 juin, un taux dopé par le bras de fer qui oppose le nouveau gouvernement de gauche radicale en Grèce et ses créanciers internationaux (zone euro et FMI).

L’engouement pourrait paraître illogique dans un pays où les paiements par bitcoin ne sont acceptés que dans très peu d’endroits. Même la carte bleue n’est parfois pas la bienvenue.

Pourtant, pour l’économiste Nicolas Houy, la mode du bitcoin en Grèce n’est pas inédite :

« La situation est à rapprocher du cas de Chypre en 2013, lorsqu’une panique bancaire avait éclaté à la suite de la mise en place d’un contrôle des capitaux. La valeur du bitcoin s’était alors envolée de 700% en un mois. Lorsque les gens perdent confiance dans les institutions en place, il faut s’attendre à ce qu’ils se tournent vers ces solutions alternatives. »

Des solutions qui ne sont toutefois pas sans risque non plus, le bitcoin étant régulièrement critiqué pour sa volatilité. Nicolas Houy :

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« C’est un actif extrêmement risqué et la probabilité qu’il disparaisse un jour est forte, même si la technologie géniale qui le sous-tend, elle, restera. »

« Les bitcoins ne nous ont pas déçus pour l’instant ! »

« Un faux problème », lui rétorque Miriam Liapi, membre fondatrice de la « Bitcoin Community Greece » :

« Sa valeur est à la hausse et il va naturellement se stabiliser. C’est surtout une question de confiance : si on y croit, alors ça a du sens d’investir. Et en Grèce, on ne croit plus en grand chose. Au moins, les bitcoins ne nous ont pas déçus pour l’instant ! »
Le site de la Bitcoin Community en Grce
Le site de la Bitcoin Community en Grèce - capture

Car ce qui séduit surtout dans l’aventure numérique, c’est sa philosophie, libertaire et auto-gestionnaire. Miriam Liapi explique :

« Les bitcoins ne sont pas simplement de l’argent, à la différence d’un euro ou d’un dollar. Ils représentent une communauté. Via le réseau informatique géant dont nous disposons, nous avons un accès libre et transparent à toutes les données : fluctuations des cours, vente et achat de chaque bitcoin... Nous sommes partie prenante de la vie de cette monnaie. Pas comme avec l’euro, qu’on subit jour après jour et qui est devenu notre maître. »

Fracture numérique

Mais que Bruxelles se rassure, les bitcoins grecs sont encore bien loin de faire trembler la zone euro, le nombre d’utilisateurs est encore trop faible, et ce pour deux raisons essentielles.

  • D’une part, le niveau d’épargne des Grecs après cinq ans de crise et de cures d’austérité : dans le pays, seule une personne sur neuf a plus de 10 000 euros sur son compte bancaire ;
  • d’autre part, la fracture numérique qui traverse la population. Si 66% des ménages grecs ont désormais accès à Internet (au premier trimestre 2014), le taux reste très inférieur à la moyenne de l’Union européenne (79% en 2013) et traduit surtout le fait que le Web, et a fortiori le bitcoin, demeurent l’apanage des plus jeunes.

Reste qu’il y a un an, avant sa prise de fonction, le ministre grec des Finances Yanis Varoufakis avait suggéré sur son blog de créer une monnaie indépendante fonctionnant sur un algorithme semblable au bitcoin. Pas sûr que cette option de sortie de crise soit retenue au menu des négociations bruxelloises...

Daphnee Breytenbach
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