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Il fut l'inventeur d'une écriture spécifiquement africaine pour penser et dire l'homme dans le monde, depuis son continent natal. L'artiste, poète et philosophe ivoirien Frédéric Bruly Bouabré s'est éteint le 28 janvier à Abidjan, où il résidait.
Champollion africain
Né dans la région de Daloa, ce fonctionnaire reçoit le 11 mars 1948 une « vision » qui fait de lui un prophète chargé de transmettre le savoir, celui qu'il va consigner dans Le Livre des lois divines révélées (1963). Mais ce qui le fera connaître du monde entier est son invention d'un alphabet pictographique qui permet à sa langue maternelle, celle du peuple bété, d'être transcrite par un jeu de syllabes. Théodore Monod, alors en poste en Côte d'Ivoire, publie ses travaux en 1958 dans le Bulletin d'information de l'Institut français d'Afrique noire (Ifan).
Les outils du Champollion africain ? Un stylo bille, des crayons de couleur et du papier cartonné. Cet alphabet (426 planches au format de cartes postales) connaîtra un écho en Occident trente ans plus tard dans l'exposition Les magiciens de la Terre via le galeriste et commissaire André Magnin. À partir de là, Bruly Bouabré devient l'un des artistes africains contemporains les plus cotés - il représentait encore son pays à la dernière Biennale de Venise.
« Celui qui n'oublie pas »
À l'automne dernier, l'historien et anthropologue ivoirien Yaya Savane, spécialiste de son œuvre, et André Magnin ont réuni en quatre tomes les œuvres de ce passeur considérable qui, outre celui des « lois divines » et de l'alphabet bété, comprennent les contes et légendes de sa région natale tels L'Homme dans le monde, un géant touche le soleil, si beau titre... Ainsi qu'un volume biographique où ce « rechercheur », comme il se nommait, donne sa définition de l'art : « L'art est dit srêlé en bété [...], l'art, c'est chercher, rechercher et découvrir la sublime innocence. » Ce coffret, dont la couverture est dessinée par l'artiste, est à lui seul une œuvre d'art.
Pour entrer dans la légende déjà mythifiée de ce destin hors du commun, on lira le beau texte que lui a consacré l'un de ses plus grands admirateurs, le photographe et écrivain Philippe Bordas, L'Invention de l'écriture (Fayard). Au cours de sa « vision » inaugurale, Frédéric Bruly Bouabré avait reçu un nom : « Check Nadro », « celui qui n'oublie pas ». Il devient désormais, et son œuvre avec lui, celui que l'on n'oubliera pas.
Frédéric Bruly Bouabré. Coffret des oeuvres fondatrices de l'artiste par Yaya Savané, André Magnin et Denis Escudier. Éditions Xavier Barral, 4 tomes. 1 436 pages., 250 euros.