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A Palerme, le procès d’un Erythréen tourne à l’absurde

La justice italienne s’acharne contre Medhanie Tesfamariam Behre, accusé d’être un cruel trafiquant d’êtres humains, alors que tout indique qu’il y a erreur sur la personne.

Par Antoine Harari (Palerme, Sicile)

Publié le 23 janvier 2018 à 12h13, modifié le 23 janvier 2018 à 12h17

Temps de Lecture 3 min.

Medhanie Tesfamariam Behre lors de son extradition du Soudan vers la Sicile en juin 2016.

Tête baissée, regard fuyant, Medhanie semble groggy à son entrée dans la salle d’audience du tribunal de Palerme, lundi 22 janvier. Pour le procureur Calogero Ferrara, il est le « Général » Medhanie Mered, l’un des plus dangereux trafiquants d’êtres humains de la planète. Pour la défense, en revanche, il s’agit d’une dramatique erreur judiciaire. Depuis dix-huit mois, l’avocat Michele Calantropo a tenté par tous les moyens de démontrer que Medhanie Tesfamariam Behre n’est pas Medhanie Yedego Mered, et que les deux Erythréens n’ont en commun que leur prénom.

L’accusation s’emmêle les pinceaux

« Jusqu’à aujourd’hui, l’accusation n’a pas été en mesure de fournir le moindre témoin qui corrobore son hypothèse. De notre côté, nous avons produit des examens qui montrent que les deux voix ne sont pas les mêmes, un test ADN et une infinité de documents et témoins qui prouvent que la personne emprisonnée est innocente », explique-t-il.

Pour l’avocat, l’obstination du procureur serait motivée par « les intérêts de la politique migratoire européenne ». Il fait ici référence au processus de Khartoum qui vise à établir une collaboration sur la question migratoire entre l’Union européenne (UE) et plusieurs pays d’Afrique orientale. En effet, reconnaître publiquement que la police soudanaise, responsable de l’arrestation, aurait fait une erreur, entraînerait probablement un refroidissement des relations avec l’UE.

Fruit d’une collaboration entre les différentes polices européennes et soudanaise, l’opération Glauco a permis l’arrestation de Medhanie en juin 2016. De fait, le procureur « Gerry » Ferrara appelle comme premier témoin Roy Godding, officier de liaison de la National Crime Unit du Royaume-Uni, qui a participé à l’enquête. Se basant sur les écoutes téléphoniques du trafiquant et le profil Facebook de Medhanie, Roy Godding soutient la thèse du procureur italien.

Cependant, très vite, le fonctionnaire britannique s’emmêle les pinceaux et déclare ne pas avoir su, jusqu’en mai 2016, où se trouvait le trafiquant Mered. Or, suite à une lettre produite par la défense, il apparaît qu’en janvier 2016 déjà, il écrivait à Calogero Ferrara que Mered se trouvait à Khartoum. Dans la même missive, il enjoignait le procureur d’accélérer l’arrestation, estimant que Mered pourrait quitter le Soudan avant la fin de l’hiver. Pour la défense, le trafiquant avait en fait déjà fui et se trouvait à Dubaï au moment de la capture de Medhanie.

Larmes et tressaillement

Une version que partage Meron Estefanos, deuxième témoin à être entendu à la barre. Spécialisée dans la traque de passeurs, cette militante et journaliste érythréenne est régulièrement sollicitée par les polices hollandaise et suédoise en qualité d’experte. Lors de son audition, elle se souvient de sa première conversation téléphonique avec Mered, en 2010. « C’était un soir, très tard. Il m’a demandé pourquoi je salissais son nom dans mon émission de radio. Selon lui, il ne commettait aucun crime, mais rendait un service. Il s’est vanté [d’avoir fait passer en Europe] plus de 13 000 personnes par an », raconte-t-elle. Alors qu’elle poursuit sa déposition, le procureur Ferrara s’emporte et remet en cause sa qualité d’experte. Elevant la voix, il demande à Meron Estefanos de justifier ses recherches et de prouver sa collaboration avec Europol. Exaspérée, elle cite plusieurs rapports qu’elle a écrits sur le sujet, avant de s’exclamer : « Il y a des dizaines de personnes qui m’envoient des photos du véritable trafiquant depuis que vous avez arrêté Medhanie. Je pourrais vous dire où il est en ce moment même si vous le souhaitiez ! » Etonnement général. Pourtant, personne ne lui demande de préciser ses dires.

Après Meron Estefanos, c’est au tour de Robert de témoigner. Installé aujourd’hui en Suède, cet Erythréen raconte à la cour sa rencontre avec le trafiquant Mered. Parti d’Ethiopie, il croise sa route à Khartoum. Alors qu’il traverse le désert depuis la Libye, il est vendu par Mered à des tribus bédouines. Torturé pendant neuf mois, il est finalement sauvé par une ONG égyptienne qui le renvoie en Ethiopie. Il décide alors de retenter la traversée. Arrivé à Khartoum, il retombe sur le même Mered qui s’étonne de le revoir en vie. Cette fois-ci, il parviendra jusqu’en Europe. Lorsque l’avocat de la défense lui demande s’il a déjà vu son client, Robert se retourne lentement en direction de Medhanie avant de secouer négativement la tête. En revanche, quand Michele Calantropo lui présente la photo utilisée pour l’arrestation du trafiquant, il ne peut s’empêcher de tressaillir. Alors qu’il reconnaît l’homme sur le cliché, des larmes coulent sur son visage.

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