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La mort de Gottfried Honegger, artiste qui voulait changer le monde

Chantre de l’art concret, il avait répondu à de nombreuses commandes publiques.

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Publié le 18 janvier 2016 à 23h09, modifié le 19 janvier 2016 à 10h31

Temps de Lecture 4 min.

Le sculpteur et peintre Gottfried Honegger, lors d'une exposition à l'Espace de l'art concret à Mouans-Sartoux, en octobre 2009.

Il avait 98 ans, mais était plus jeune que beaucoup. L’artiste rêvait que son art puisse changer le monde, et le rendre meilleur. Il était capable de foucades, d’emportements qu’on attendrait plutôt d’un adolescent, lui qui avait mis au point un « viseur », un ensemble éducatif à eux destiné. Les mômes de la région de Mouans-Sartoux (Alpes-Maritimes), où il avait, avec sa femme Sybil, créé le Musée d’art concret, et donné à l’Etat près de 600 œuvres, ont tous eu l’occasion de le manipuler.

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Parce que Gottfried Honegger, mort dimanche 17 janvier à Zurich, pensait qu’un artiste avait des responsabilités : « J’ai vécu mes premières six années dans un endroit sans fautes. En haute montagne, à 2000 mètres d’altitude où le paysage, la nature, l’architecture étaient intacts ! Ça veut dire que le programme dans mon cerveau, les éléments pour mesurer ensuite si beau ou pas beau, étaient intacts. J’arrive à Zurich avec un père socialiste qui me dit : “Tu as eu de la chance, mais il y en a d’autres qui n’ont pas eu cette chance. Fais ton travail pour aider ceux qui n’ont pas eu cette chance.” Et je suis devenu socialiste avec une image de paysan. »

« J’ai besoin de la beauté et du social »

Né le 12 juin 1917, à Zürich, Gottfried Honegger suit d’abord l’enseignement des arts et métiers de sa ville, parce qu’à l’époque, en Suisse, il était interdit d’intégrer les Beaux-Arts si on ne possédait pas au préalable un diplôme qualifiant : il passera donc celui d’étalagiste, avant de se tourner vers le graphisme. « Quand j’étais enfant, je ne connaissais pas l’électricité, je ne connaissais pas les bananes, je ne connaissais pas les voitures. Il n’y avait rien ! Il y avait des vaches, des chèvres, c’est tout ! Ça veut dire que j’avais la chance d’avoir un cerveau intact, pas très intelligent mais intact ! Mon père m’a nourri de cette responsabilité sociale que j’ai toujours. Ça veut dire que j’ai besoin de la beauté et du social. » Il est le seul artiste qu’on ait un jour entendu dire : « Prouvez-moi que mon travail n’a aucun impact social, et j’arrête immédiatement ! »

Il commence toutefois par un séjour aux Etats-Unis, en 1958, où il s’occupe du graphisme et de la publicité pour une société chimique suisse. A New York, il rencontre de nombreux artistes, qui lui apprennent la démesure, dont il n’abusera jamais. Mais il est un des rares Européens à être l’intime de Rothko, De Kooning ou Barnett Newman, et ne sera pas pour rien dans le fait qu’ils sont aujourd’hui aussi bien représentés au Kunstmuseum de Bâle. L’un d’eux, Mark Rothko, change sa vie : « Sur mon passeport, j’avais écrit graphiste et designer et c’est Rothko qui m’a dit : “Non, tu changes cela, tu mets artiste” et c’était une métamorphose. Quand je suis allé à l’ambassade, ils ont changé “designer” en “artiste” et quand je suis sorti de l’ambassade suisse, j’étais un autre. »

Part du hasard

Après une exposition dans la mythique galerie de Martha Jackson, où toutes ses œuvres – des monochromes rouges – sont vendues, dont une à Alfred Barr, le directeur du MoMA, « l’autre » vient alors travailler à Paris, à l’invitation du peintre américain Sam Francis. « A Paris, j’étais chez moi avec les artistes que je connaissais : Cézanne, Van Gogh… J’étais chez moi… Tous mes copains dans ma tête, ils étaient là. Paris m’a donné l’aléatoire. Pendant des années, j’ai eu un dé dans ma poche. Dans un restaurant, pour le menu, je prenais mon dé. Dans les librairies, je prenais mon dé. J’achetais mon livre comme ça. »

Cette part du hasard va faire l’originalité de sa peinture à cette époque. Géométrique, abstraite, mais d’une sensualité profonde. Il rencontre aussi le compositeur Pierre Barbaud, fondateur du Groupe de musique algorithmique de Paris, commence – l’un des premiers – à travailler avec un ordinateur, et est profondéement marqué par la lecture (un coup de dé…) du livre du biologiste Jacques Monod, Le Hasard et la Nécessité (1970).

« Aujourd’hui, les artistes sont absents »

Des années après, on croyait, à l’entendre, en lire des pages : « A mon avis, ce n’est pas l’artiste qui invente l’art. C’est la société elle-même qui détermine le climat dans lequel un certain art pousse. Je pense que tous les intellectuels, dans tous les domaines, au fond, devraient s’engager chacun à sa façon pour la société. Mon idée aujourd’hui, c’est que les artistes sont absents. Ils ne participent pas à la vie politique, sociale du pays. Ils attendent de vendre une œuvre ou d’avoir une commande publique et un point, c’est tout. »

Lui, non. Engagé, il l’était, même si à regarder ses monochromes rouges, c’est difficile à concevoir. Ses sculptures sont désormais posées de ci, de là, dans les espaces publics, et c’est vrai qu’elles les rendent plus beaux. Mais l’homme, s’il était rude et sans concession envers les imbéciles, avait le cœur grand. Un élève de Mouans-Sartoux lui a dit un jour : « Tu sais, chez moi, tout est laid, mais j’adore mes parents et c’est pour ça que je ne dis rien ! » L’artiste racontait l’anecdote en ajoutant : « Ce n’est pas beau ça ? » C’est lui qui était beau.

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