Lourds nuages, houle énorme, c’est sur une mer bien hostile que les éditeurs français ont dû naviguer en 2017. « Le premier semestre s’est révélé apocalyptique », affirme l’éditrice Héloïse d’Ormesson, patronne de la maison du même nom. « Désastreux », selon Pierre Conte, directeur général du groupe Editis (Robert Laffont, Plon, Belfond, La Découverte…). « Horribilis », aux yeux de Sébastien Rouault, directeur du panel Livres de l’institut d’études de marché GFK, selon qui « le marché a chuté de 6 % en volume comme en chiffre d’affaires au cours des six premiers mois, du jamais-vu ».
Malgré un été plutôt bon et un automne stable, le marché « n’a jamais été serein en 2017, toujours entre fragilité et fébrilité », analyse Sébastien Rouault. Les estimations de GFK, de janvier à fin novembre, font état d’une baisse de 3 % du chiffre d’affaires, à 2,8 milliards d’euros. Trois des quatre grands segments de l’édition affichaient un recul fin novembre : la littérature générale (– 3 %), la jeunesse (– 7 %), le pôle savoir (histoire, sciences humaines, dictionnaires, beaux arts) (– 7 %). Seule la bande dessinée se targuait d’une forte croissance (+ 8,5 %), grâce à la sortie d’un Astérix en fin d’année.
« Mais même décembre – le mois le plus attendu et qui s’est avéré plutôt bon– ne permettra pas de tout rattraper », pronostique cet expert. L’effet d’aubaine dû aux changements de programmes scolaires – non inclus dans les statistiques GFK – amortira quelque peu le décrochage de 2017. Les plus optimistes s’attendent à une baisse des ventes de – 1 à – 1,5 %.
Trou d’air et cannibalisation
Les rebondissements qui ont scandé sans relâche la campagne électorale, des primaires de novembre 2016 aux législatives de juin 2017, expliquent largement le grave trou d’air des six premiers mois de 2017. « La fiction avait lieu dans la réalité, in vivo, de façon invraisemblable, si bien que le public est resté englué devant sa télévision », explique Olivier Nora, PDG des éditions Grasset (groupe Hachette Livre). « Le contexte électoral et le “Penelopegate” ont détraqué la fréquentation en librairies », ajoute Bertrand Py, directeur éditorial d’Actes Sud. Si, historiquement, les années d’élection présidentielle sont toujours mauvaises pour l’édition, ce cru s’est révélé particulièrement dévastateur.
Les éditeurs espéraient donc rattraper leur retard au second semestre. Ce qui a entraîné une rare concentration des titres, dont les sorties avaient été décalées. « En deux mois, la profession a proposé ce qui correspond habituellement à un an de production : trente à quarante best-sellers. Cela n’a pas pu se faire sans dégâts », souligne Olivier Nora. Résultat : le surplus d’offre a étouffé le marché. Cette politique des éditeurs visait à doper leurs ventes mais aussi à contrer leurs concurrents. Jean-Maurice de Montremy, à la tête d’Alma Editeur, rappelle que « quinze nouveautés permettent aux grands éditeurs d’occuper 1,5 mètre de linéaire sur la table d’un libraire… ». Les livres se sont cannibalisés. Les libraires ont même manqué de temps, en octobre, pour ouvrir les cartons des nouveautés.
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