L’offensive contre la ZAD de Notre-Dame-des-Landes se prépare… sur les plateaux télé

Peu préoccupés d’écologie ou d’aéronautique, les journalistes de BFMTV et LCI prônent l’impérative et immédiate évacuation de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes. Leurs meilleurs experts ont imaginé une offensive militaire qui ne devrait laisser aucune chance aux irréductibles zozos doctrinaires, aux jusqu’au-boutistes de l’ultra-violence.

Par Samuel Gontier

Publié le 19 janvier 2018 à 20h00

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 01h33

«Pour le moment, aucune trace des forces de l’ordre », déplore une envoyée spéciale de BFMTV, mercredi midi à Notre-Dame-des-Landes. La déception est à la hauteur des attentes. Le « Vietnam des pauvres » promis par Christophe Barbier n’a pas eu lieu. Le gouvernement a cédé aux zadistes, aux « anarcho-violents », ainsi désignés par Bruno Retailleau, premier à réagir sur BFMTV. Non seulement on renonce à un nouvel aéroport mais en plus on accorde aux occupants surarmés de rester jusqu’au printemps. « Au printemps, c’est un peu flou, regrette Ruth Elkrief. Il faudra noter la date, c’est le 21 mars a priori. » Deux mois à attendre avant la grande offensive de printemps.

  

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« Les forces de l'ordre sont déjà en route pour Notre-Dame-des-Landes… » La chef du service police-justice voudrait encore y croire. « … même si notre envoyé spécial nous disait qu'il n'y a pas encore de gendarmes visibles autour de la ZAD. » Ils sont peut-être en tenue de camouflage (ou en pause-déjeuner). « Mais sept escadrons de gendarmes mobiles seront présents dès demain matin. » Ne désespérons pas, on peut encore croire à une offensive imminente.

  

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« L’évacuation, rappelle Thierry Arnaud, du service politique, c’est évidemment un enjeu majeur, fondamental. » « L’Etat de droit est défait, constate Dominique Seux sur LCI. Et donc il a besoin de prendre sa revanche. Visiblement, pour les télévisions, pour nous, il a besoin que ces territoires soient évacués. » Evidemment ! Ça fait des semaines qu’on nous promet une guerre civile en direct du bocage ! « Les plus durs résisteront, annonce Ruth Elkrief. Et là, il y aura peut-être, sans doute, affrontements, utilisation de la force. » Ah, quand même, ça me rassure ! « Le dégagement de la zone, ça va être compliqué, confirme Yves Calvi sur Canal+. Il va y avoir un affrontement à un moment ou à un autre. » Ouf, la promesse tient toujours.

  

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« Les zadistes doivent faire partie de la négociation », ose un idiot utile des anarcho-violents, un représentant de Greenpeace. « Dans ce cas, n’importe qui peut s’installer n’importe où ! », proteste le présentateur de BFMTV, Olivier Truchot. Il donne la parole à un invité plus réaliste, le sous-officier Frédéric Le Louette : « Monsieur le gendarme réagit pour savoir comment on va faire. » « Nous, on souhaite que l'action se passe vite, on dégage les axes puis on dégage la ZAD. Pourquoi vite ? Pour éviter de s’exposer pendant des semaines et des semaines sur des axes où les collègues peuvent être attaqués en permanence par des zadistes. » Je comprends : pour éviter l’enlisement, il faut mener une guerre de mouvement. Et vite.

  

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Justement, « des CRS et des gardes mobiles ont été prépositionnés autour de la zone, des équipes sont déjà sur place ». Sans doute les premiers commandos parachutistes ont-ils été largués, j’aperçois un hélico dans le ciel. Ça ne vas pas tarder à barder. Las, Bruno Retailleau, à nouveau interviewé (par Ruth Elkrief, avant d’être l’invité de Jean-Jacques Bourdin le lendemain matin) douche tous mes espoirs. Non seulement le gouvernement a plié devant « le recours à l’ultra-violence » mais en plus « y a pas d’évacuation, c’est du flan, c’est de l’enfumage total ! Y a pas de coup de force d’autorité de l’Etat ». Pas de coup de force d’autorité ? Gérard Collomb est vraiment une mauviette.

  

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Ruth Elkrief interroge le spécialiste aéronautique et environnement de Valeurs actuelles. « Louis de Raguenel, vous qui connaissez ces questions de sécurité, est-ce que la situation dans la ZAD risque de déraper ? » L’expert différencie trois races de zadistes : « Les agriculteurs, les doctrinaires et les jusqu’au-boutistes. » Sans parler des jusqu’au-boutistes doctrinaires, les plus dangereux. « Ces zadistes, c’est pas le Larzac, avertit Irène Inchauspé, de L’Opinion, invitée de Pujadas sur LCI. Ils sont dans une protestation contre le capitalisme mondial, contre les multinationales, c’est pas la terre qui leur importe – je parle des plus radicaux. »

  

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« Vous avez quand même cent cinquante militants ultra-violents », comptabilise le journaliste de Valeurs actuelles sur BFMTV. Ruth Elkrief se tourne vers le sondologue de service : « Si ce soir, on avait foncé dans le tas, entre guillemets, hein, si on avait dit “On évacue !”, les Français, comment ils auraient réagi ? » Ils auraient applaudi le spectacle devant leur télé.

  

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Recevant Delphine Batho, Ruth Elkrief lui fait part de ma déception : « Tout à l’heure, Bruno Retailleau était avec nous, il a dit : “C’est un enfumage, il n’y aura pas d’évacuation !” » Comme la députée PS déclare que « l’installation de ceux qui ont des projets d’agro-écologie doit pouvoir s’organiser dans la légalité mais pas dans l’illégalité », la présentatrice rebondit : « Donc vous approuverez éventuellement des opérations si elles doivent être violentes pour évacuer la ZAD ? » Et le recours à l’arme nucléaire si nécessaire ?

  

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Pendant que Ruh Elkrief envisage de foncer dans le tas, sur LCI, David Pujadas peaufine les plans de l’offensive en compagnie d’un général de la gendarmerie et avec l’aide d’une aide de camp préposée à l’affichage des cartes. « Alors, cette opération qui se prépare, qu’est-ce qu’on en sait ? », demande le présentateur. « Ce serait une opération militaire, déclare son aide de camp. Il pourrait y avoir le déploiement de troupes, jusqu’à 3 000 militaires et policiers. » Sans parler de la légion étrangère et du soutien aéroporté.

« Tout dépendra du nombre de zadistes irréductibles. » Ceux-là, ce sont les pires. Surtout quand ils sont doctrinaires. Une intense préparation d’artillerie sera nécessaire. « Ils [les troupes d’assaut] progressent à pied, lentement parce que c’est une zone à défendre donc ils s’attendent à ce que les zadistes communiquent avec des talkies-walkies, qu’ils aient mis des pièges voire même que se situent dans la ZAD des armes de chasse. » Et les boules de pétanques hérissées de lames de rasoir, elles sont passées où ?

  

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« Une fois l’expulsion terminée, conclut l’aide de camp, il faut tenir cette zone, ne pas reperdre ce terrain. » Construire des blockhaus, des miradors et poser des mines. Dominique Seux s’étonne : « Trois mille gendarmes ça fait beaucoup pour quelques centaines de zozos. » Oui mais des zozos doctrinaires jusqu’au-boutistes irréductibles ultra anarcho-violents. Claude Weil se fait le porte-parole de Manuel Valls, dont l’avis me manquait cruellement : « Il a dit aujourd’hui que la ZAD aurait très bien pu être évacuée en 2012 si François Hollande et Jean-Marc Ayrault ne l’avaient pas arrêté. » Et les avions atterriraient déjà dans la ZAD.

David Pujadas sollicite « un spécialiste, le général Bertrand Soubelet, ancien directeur des opérations de la gendarmerie nationale, il était sur place en 2012 ». Pour l’opération César, que Manuel Valls a (virtuellement) menée à bien. Le présentateur s’inquiète : « On exagère un peu, on se fait peur, c’est un fantasme ? » Pas du tout. « Ou c’est vraiment une opération compliquée ? » Complètement.

  

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Le général prône lui aussi la guerre-éclair « Si on leur laisse le temps d’évacuer, ça veut aussi dire qu’on laisse les plus irréductibles se préparer. » Et peut-être se doter de missiles à longue portée pour projeter leurs boules de rasoirs hérissées de lames de pétanque. « On prend un risque à laisser courir un certain laps de temps avant de les évacuer. » Il ne faudrait pas que s’installe dans le bocage une nouvelle Corée du Nord.

« C’est pour ça que les militaires et les gendarmes tentent d’encercler la zone », espère David Pujadas. « Ça demande beaucoup de moyens, poursuit le général. Ils sont extrêmement mobiles, ils ont préparé une défense, ils ont fait des tranchées, pré-tendu des câbles, ils ont mis des pieux. Ils ont des projectiles, des cocktails Molotov. » Des 4L transformées en chars d’assaut et des tracteurs lance-missiles.

  

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« Est-ce que ça va créer un précédent ?, angoisse David Pujadas. Il y a une dizaine d’autres ZAD en France. » Ça fait peur. Sur BFMTV, Ruth Elkrief s’étrangle : « Vous croyez qu’on pourra continuer à aménager la France ? Ou est-ce que c’est un coup de frein au progrès, c’est-à-dire à des grands projets ?! » Bétonner, c’est le progrès.

  

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« Je regardais une carte, on a cinquante chantiers d’infrastructure aujourd’hui importants pour le pays, panique Alain Marshal, toujours sur BFMTV. Ça veut dire quoi ? Maintenant les zadistes et les écologistes se disent : “C’est bon, les gars ! On a gagné à Roybon, on a gagné à Notre-Dame-des-Landes, allez, on va s’installer partout et tous les pouvoirs publics vont renoncer.” » Horreur ! La France va devenir une ZAD géante. « C’est pour ça qu’il est absolument impératif d’évacuer la ZAD et de la faire rapidement », rappelle Thierry Arnaud, chef d’état-major du service politique.

« On a des informations intéressantes », révèle Ruth Elkrief. Ça y est, on va pouvoir foncer dans le tas ? « Par exemple, un zadiste réfugié dans un arbre dans lequel il y a une espèce d’oiseau protégée, on ne peut pas le déloger. » C’est embêtant. Ça veut dire qu’on ne pourra pas non plus utiliser de napalm ?

Ma vie au poste, le blog de Samuel Gontier

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