Jazzman génial et débonnaire, Eddy Louiss n'est plus

Eddy Louiss, musicien d’un jazz mondial multicolore, est mort le 30 juin, à 74 ans, des suites d’un diabète. Il avait joué avec tous les grands, de Stan Getz à Claude Nougaro, qu’il accompagna pendant treize ans.

Par Michel Contat

Publié le 01 juillet 2015 à 16h43

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 05h43

«Hors de l'eau un orgue a surgi / C'est pas Némo c'est Eddy / A l'horizon l'orgue se hisse / Oh hisse et oh, c'est Louiss », chantait Claude Nougaro, qui disait de son accompagnateur favori (dans Cécile, l’orgue c’est lui) : « Eddy Louiss est un des plus grands musiciens de jazz du monde. Un des plus grands musiciens de la planète, tout simplement. »

Quant à Bernard Lubat, il le comparait volontiers à Louis Armstrong et à Miles Davis, et disait qu’il était capable de faire de la musique avec deux bouts de bois. Mais c’est un journaliste qui lui ressemblait par les excès, Rémy Kolpa Kopoul, disparu en mai, qui avait trouvé la bonne formule, « le Fasltaff du swing », pour évoquer sa carrure massive, son collier de barbe blanche, son panama ou sa casquette multicolore.

A la trompette, comme son père, puis au piano et à la voix

Ce beau jeune homme, fils d’un musicien martiniquais fameux, avait commencé à la trompette, comme son père, puis au piano et à la voix : il fut un des chanteurs des Double Six, la formation vocale fondée par Mimi Perrin dans les années 1960, pour laquelle Quincy Jones écrivit. Mais c’est à l’orgue Hammond B3, instrument mastodonte, qu’il trouva sa vocation, prit l’embonpoint d’un bon vivant et devint l’Orson Welles du jazz.

Les jazzmen américains l’adoraient, cet ogre. Il tourna avec Stan Getz pendant un an. Johnny Griffin, Art Taylor, Dizzy Gillespie, Jimmy Gourley et surtout Kenny Clarke savaient pouvoir compter sur son swing inlassable et sa musicalité tendre et gourmande. Les musiciens français le révéraient, Claude Nougaro, jazzman dans l’âme, l’engagea de 1974 à 1977.

Birkin, Gainsbourg, Higelin se le disputaient

En 1968, au Caméléon, un trio composé de Daniel Humair à la batterie, Jean-Luc Ponty au violon, Eddy Louiss à l’orgue faisait flamber la nuit dans l’esprit de John Coltrane. Deux disques de ce trio témoignent que le jazz en France lui aussi fut grand. A quoi s’ajoutèrent des aventures avec un grand guitariste belge, René Thomas, avec cet autre énergumène, Bernard Lubat, avec un jeune poète étourdissant, Michel Petrucciani (leur duo est fameux), avec un improvisateur de mots en sons, André Minvielle, un accordéoniste inspiré, Richard Galliano, et le violoniste par excellence, Stéphane Grappelli. Des albums hauts en couleurs ont résulté de ces rencontres au sommet. Bien évidemment, les chanteurs et chanteuses se le disputaient, ainsi Jane Birkin, Henri Salvador, Barbara, Serge Gainsbourg, Jacques Higelin.

Eddy Louiss avait l’âme métisse et l’esprit pareillement pour ce qui concerne les musiques du monde tel qu’il se fait entendre. Il disait : « Elles sont faites d'abord pour rassembler. Si, au départ, l'isolement a pu faire la force et l'originalité de ces musiques, une nouvelle force viendra, maintenant, en les mélangeant. » Cette force portait donc un nom, le sien.

Un “Louissiana” gorgé de sauce pimentée

En août 1995, à l'invitation d'Olivier Bloch-Lainé, un fan de l’organiste, Eddy Louiss se rendit à la Nouvelle-Orléans avec une cohorte de journalistes pour enregistrer pendant cinq jours dans le studio de Daniel Lanois avec les musiciens du cru, les meilleurs, ceux qui sont nés dans le blues. Avec eux il se produisit un soir dans le temple, le House of Blues, et la nuit étincela. De ces sessions résulta un disque splendide, gorgé de sauce pimentée, le bien nommé Louissiana (paru chez Initial, éphémère label discographique de Canal +). Nous, les journalistes, ébahis, étions reçus un à un par Eddy, plus roi fainéant que jamais, et qui mettait un doigt sur sa bouche en nous adressant le sourire de Raminagrobis quand une question sur un musicien appelait la discrétion. Ces jours d’août à la Nouvelle-Orléans nous rendirent tous heureux et reconnaissants.

La suite de la carrière du lion Eddy fut affligée par des problèmes de santé, un diabète qu’il fallut soigner par l’amputation de la jambe gauche. Cette nouvelle nous assombrit. Il se tenait en retrait de la scène, on commençait presque à l’oublier.

Pourtant il revint, en 2010, pour un concert à l’Olympia avec une forte phalange rythmique et une fanfare, la Multicolor Feeling, formée de 60 musiciens amateurs et professionnels. Ce fut surtout un grand moment pour ceux qui le découvrirent à cette occasion. Après cela, les engagements qu’il était encore capable d’honorer se firent plus rares. Maintenant qu’il a rejoint les musiciens qui furent ses amis, on mesure peut-être mieux la place unique, vraiment royale, qu’il occupa de façon débonnaire dans le monde des jazz.

 

 

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