étude

Devancer la récré pour moins manger

Et s’il suffisait de faire jouer vigoureusement les enfants avant le dîner, plutôt qu’après, pour leur couper l’appétit et les aider à ne pas devenir obèses ?

Une école de la Montérégie, Jacques-Barclay, a laissé 13 filles et 8 garçons tenter l’expérience à la demande d’une chercheuse de l’Université de Montréal. Et les résultats, publiés dernièrement dans la revue scientifique Appetite, sont encourageants.

Quand les 21 enfants de la maternelle s’attablaient après avoir bougé, ils mangeaient moins que lorsqu’ils venaient de faire des activités moins physiques comme du yoga, des massages ou des exercices de respiration. Ils optaient aussi pour des aliments moins gras.

15 %

Proportion de calories ingérées en moins lorsqu’un enfant se dépense au lieu de simplement se relaxer avant de manger, soit 76 calories lors de l’expérience

15 %

Proportion d’aliments gras ingérés en moins lorsqu’un enfant se dépense au lieu de simplement se relaxer avant de manger, soit 22 calories (sur les 76) lors de l’expérience

« Une hormone stimulant l’appétit, la ghréline, baisse beaucoup pendant l’effort. L’idée, c’est d’en profiter », explique Marie-Ève Mathieu, professeure au département de kinésiologie de l’Université de Montréal et chercheuse au Centre de recherche du CHU Sainte-Justine.

Après avoir bougé, l’effet coupe-faim perdure seulement de 30 à 60 minutes, d’où la nécessité de passer immédiatement à table. « Tout le monde manque de temps, on veut donc que chaque minute d’exercice donne le maximum de résultats. Pas besoin de faire plus d’exercice, seulement d’en faire à un moment plus stratégique. »

Une première

La question du moment optimal de l’activité physique est étudiée depuis peu, et rares sont les chercheurs s’étant penchés sur le sujet. Jusqu’ici, ils avaient plutôt vérifié pendant combien de minutes il fallait s’activer, et à quelle intensité, pour qu’un effet coupe-faim (appelé anorexigène) se manifeste.

L’étude de l’Université de Montréal « révèle pour la première fois qu’il semble possible de tirer profit de [cet effet] dans la vraie vie, chez de jeunes enfants à l’intérieur de la structure scolaire », précise l’article publié dans Appetite.

Inverser l’ordre d’activités déjà existantes (comme le repas et la récréation) est une stratégie simple, susceptible d’« attirer fortement l’attention des commissions scolaires », dit aussi l’article.

« Le défi, c’est de faire vraiment bouger les enfants, sinon, cela n’aura pas d’effet. Il faudra peut-être rendre les cours d’école plus actives ou bien placer les cours d’éducation physique au bon moment. »

— Marie-Ève Mathieu, professeure au département de kinésiologie de l’Université de Montréal et chercheuse au Centre de recherche du CHU Sainte-Justine

Pendant son étude, les écoliers devaient absolument jouer au ballon, courir ou se pourchasser. « Les surveillantes trouvaient qu’on les faisait pas mal bouger ! »

8 livres par année ?

Si l’expérience avait duré toute l’année, les enfants auraient théoriquement pu éviter d’ingérer l’équivalent calorique de 8 livres par année en bougeant avant de manger.

Les écoliers ignoraient qu’on scrutait ce qu’ils avalaient. Ils pouvaient piger dans des boîtes à lunch contenant des aliments très variés (des fruits aux biscuits en passant par les carottes, le fromage et les yogourts à boire) et contenant 50 % plus de calories que nécessaire à leur âge.

L’équipe de Mme Mathieu n’a pas pu vérifier s’ils compensaient en mangeant davantage une fois de retour à la maison. Mais une autre de ses recherches, faite en laboratoire, permet de croire que non. Lorsque les participants à cette étude (des hommes âgés de 15 à 20 ans) couraient 30 minutes à 11 h 15 plutôt qu’à 9 h, ils avalaient en moyenne 154 calories en moins au dîner – sans se rattraper lors de la collation ou du repas du soir.

À l’école Jacques-Barclay, les chercheurs ont bien pris soin de ne pas empiéter sur le temps de classe pour que leur approche soit facilement applicable ailleurs. Lors d’une journée de référence, les enfants suivaient leur routine habituelle et commençaient par manger avant de sortir à la récréation. Deux autres jours par semaine, ils dînaient 40 minutes plus tard que d’ordinaire – dans un cas, après s’être dépensés, et dans l’autre, après s’être relaxés.

« Si le repas était retardé à cause de la relaxation, ils mangeaient plus, mais pas quand le repas était retardé à cause de l’exercice », résume Marie-Ève Mathieu. Dans ce dernier cas, les enfants consommaient même un tout petit peu moins que lorsqu’ils s’attablaient à l’heure (soit 9 calories, une différence peu significative étant donné la petite taille de l’échantillon).

Comme un médicament 

« Ce qu’on n’a pas encore, c’est une étude sur plusieurs mois, pour voir l’effet à long terme de cette approche », nuance la chercheuse. Pour le découvrir, elle espère trouver à brève échéance une école prête à changer l’horaire du repas pour une année complète.

Puisqu’il est plus facile de prévenir l’obésité que de maigrir une fois qu’elle est installée, des programmes sont déjà en place dans plusieurs établissements. Mais ils s’attaquent séparément à l’alimentation et à l’exercice. En coordonnant ces deux approches, on peut produire un effet synergique, plaide la chercheuse, « puisque la manière de faire de l’exercice a une influence sur la manière dont on mange ».

L’expérience faite à l’école Jacques-Barclay a même permis d’entrevoir un avantage complémentaire : « Quand les enfants allaient jouer avant le repas, les surveillants trouvaient qu’ils étaient bien plus calmes ! »

La lutte contre l’obésité est une priorité de l’Organisation mondiale de la santé, car les obèses, enfants ou adultes, sont souvent stigmatisés. Leur surplus de poids accroît aussi les risques de maladies mortelles comme le diabète de type 2, les maladies cardiovasculaires et le cancer.

Pour Marie-Ève Mathieu, l’exercice est en quelque sorte un médicament. « En cherchant à le placer au bon endroit, dit-elle, on est en train de raffiner la posologie. »

Un effet variable

L’effet coupe-faim de l’exercice ne bénéficie pas forcément à tous. « Les femmes ont toujours une plus grande stabilité métabolique. Expliqué grossièrement, on pense que c’est parce qu’elles doivent maintenir un certain pourcentage de gras pour avoir des enfants », affirme Marie-Ève Mathieu. Mais chez les écolières de son petit échantillon, l’effet en question se faisait quand même sentir.

Il semble que les personnes déjà obèses soient également pénalisées. La chercheuse veut vérifier ce qu’il en est en laboratoire, en mesurant la fluctuation des niveaux de ghréline d’adolescents de poids normal, d’adolescents obèses et d’adolescents déjà contraints d’avaler certains médicaments associés à un gain de poids. « On veut mieux comprendre ce qui se passe dans le corps pour que les gens mangent moins », dit-elle.

Son équipe compte aussi étudier l’impact de l’exercice sur les sens du goût et de l’odorat, qui semblent conditionner nos choix. « Tous les sens sont plus réceptifs après l’effort. Du Gatorade, même si ça ne goûte pas grand-chose, ça nous semble bon après l’effort, alors que le jus de pomme semble trop sucré. »

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.